"De miel & l'aloès" Ali Bécheur
Quatrième couverture :
« Telle une nausée, remonta du fond de ma gorge, la nostalgie d’un temps antérieur à l’expression touristique ; vague amère surgie de l’horizon perdu d’un continent naufragé, de quelque Atlantide engloutie sous le béton, encore bouillonnante de l’écume des jours anciens. Je m’y revis, courant vers le parasol de Narjès, planté sur la plage, pareil au phare d’une île flibustière, embaumée de vanille ; le marchand de cacahuètes y criait son existence infra-cartésienne : « Je suis là, je suis là ! » Et chacun d’entre nous, Narjès, Mourad, moi et les autres, tous les autres, à peine émergés tout éblouis de l’adolescence, nous commencions sans même nous en douter, à élever, pierre à pierre, brique sur brique, avec l’obscure patience du temps qui gèle les passions les plus ardentes, le mur épais de nos silences ; à verrouiller la forteresse sur nos vies désertiques, à l’enclore de remparts si hautes qu’ils nous cachaient les uns aux autres obstruant du même coup la liberté bleue de la mer … »
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Sujet :
Tranches de la vie d'un homme qui se rappelle et nous raconte, ses souvenirs.
On arrive comme des invités de marque, autorisés à pénétrer dans le salon d'apparat, pièce utilisée que pour les grandes occasions.
« Le salon bénéficie d’un statut particulier ; voué à l’apparat, on ne l’ouvrira que pour les circonstances solennelles ou les cérémonies : visites protocolaires ou circoncisions, fiançailles, mariages, ou encore funérailles. Jouissant ainsi du privilège d’exterritorialité, il échappera aux vicissitudes qui jalonnent l’histoire d’une demeure : vases ébréchés, tables bancales, fauteuils bancroches, ou jouets éparpillés sur le tapis. Le passage des années le laissera tel que les fiancés l’ont décoré avant même les épousailles. Les frais en sont à la charge du promis, de même que, suivant une coutume corollaire, l’aménagement de la chambre à coucher incombe à la future maîtresse de maison. [p. 9]
Le grand-père et ses rituels et les moments partagés où il accompagne l'aïeul. L'admiration de l'enfant, envers cet homme respecté. Les promenades dans le souk des parfumeurs, puis le long de la Grande Mosquée, pour enfin s'asseoir sur le siège du barbier Si AbdelHak. Moment où l'on cause, en attendant son tour.
Puis vient le temps des études, où l'enfant devient adolescent. Les découvertes de soi, des émotions de l'adolescence vers l'autre sexe. Les premières fois, où l'on ose avec un copain franchir le pas de la porte.
Dans une civilisation où les hommes et les femmes ne partagent pas grand chose. Chacun sa vie, dans un coin de la maison aussi, les femmes au fond, où à l'étage, dans les chambres où les fenêtres sont munies de moucharabiehs afin qu'elles puissent voir sans être vues. Les hommes dehors, le plus souvent, au café quand ils ne sont pas à leur travail.
Puis vient le temps de partir faire ses Universités à Paris le plus souvent. Le Quartier Latin, le changement de monde, de climat, de couleurs du ciel aussi ! Tout un dépaysement.
« Et pourtant, en avais-je assez rêvé de ce moment où affranchi du servile statut de l’élève –assujetti à la double férule de la famille et du lycée- je m’élèverai enfin à la condition libre de l’étudiant ! Liberté neuve que j’étrennais –comble de bonheur ! – à Pairs, cité légendaire où s’ébauchent les grands destins, se nouent les grandes amours. » [p.71]
Enfin, toute une partie de la vie d'homme, qui retourne au pays, diplôme en poche pour mener sa vie. Tout change, de nouveaux quartiers se construisent. Le mariage, les anciens amis, qui ont chacun fait leur vie, plus ou moins réussie! Donc les comparaisons, les critiques, ... La vie de chacun est-elle conforme à ses aspirations. L'amitié résistera-t-elle aux différentes sociétés qu'on fréquente.
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Mon avis :
Une lecture qui fait revivre, aux lecteurs de la même génération, des moments dans nos souvenirs également. Surtout lorsque nous avons connu aussi la Tunisie de cette période, dont les us et coutumes se maintenaient encore dans bien des familles. Cette deuxième partie du XXe siècle, période de modernisation, de transformation, parfois difficile en France, alors imaginez en Tunisie qui devait naître comme nouvelle entité politique, Tunisie libre et autonome, tout en restant liée à son ancien Protectorat, le temps d'organiser ses propres structures.
Ce premier roman d'Ali Becheur, (1989) annonce un auteur francophone qui manie la plume et la narration avec une certaine maîtrise.
D'autres titres vont suivre.
Pour en savoir plus :
Editeur : Cérès Productions
ISBN : 9973 700 07 4
Date de parution : 4e trimestre 1989
211 pages
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