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vendredi 20 juin 2014

Coup de cœur : Poils de Cairote de Paul Fournel




Sujet :
Une chronique journalière d’instants et de scènes insolites vues lors d’un séjour dans cette ville qui ne dort jamais. Le Caire, ses embouteillages, ses klaxons, ses chats, ses vendeurs ambulants, il n’y avait pas que les pyramides et les cars de touristes à voir dans les années 2000. Paul Fournel, alors attaché culturel auprès de l’Ambassade de France au Caire, nous fait part de ses découvertes, au fil des jours. Il a regroupé des mails envoyés au cours de son séjour. 

Citations :
« 12 novembre 2000
Le Caire appartient aux chats.
Ils ont traversé les dynasties, intacts. On les voit identiques à leurs statues, élancés, étroits, vifs, petits, surmontés de grandes oreilles. Ils n’ont pas de choix, la vivacité et leur minimum de survie. Il n’ya pas de place pour les lents sur les trottoirs du Caire. »  p. 11 
« 19 novembre 2000 
… C’est à ce moment-là que je m’engage sur la bretelle d’accès de l’autoroute et que surgit en face de moi, à contresens, un handicapé  dans son fauteuil roulant. Il dévale la rampe à fond de fauteuil, langue tirée, comme un beau tournedos repoussé sur le côté par le vent de la course, tête déjetée, membres noués, yeux dilatés. Il hurle. 
Je klaxonne, je multiplie les signaux à l’intention de mes suivants, les invitant à se ranger. Ils klaxonnent. Et notre homme, galabeya gonflée en montgolfière finit de dévaler la rampe, en appui sur la glissière, et va se perdre dans la circulation de la ville.
Personne ne le poursuit, personne ne l’attend, personne ne le revendique. Toute langue dehors, il fonce. … D’où venait-il ? » p.18/19 
« 8 juillet 2001
Le scooter cairote est un véhicule à cinq places. Les deux aînés sont devant, debout entre leur père et le guidon. Ils se battent parce que chacun veut être à l’avant face au vent. 
A l’arrière, la mère tient le petit dernier serré entre sa poitrine et le dos de papa. De l’autre main, elle tient le sac à provisions qui ballotte contre le moteur. 
Si le père est responsable et soucieux de l’avenir de sa famille, il porte un casque. » p. 127


Mon avis :
Que d’images, vues sur place dans les rues du Caire, retrouvées en lisant ce carnet d’impressions écrit par Paul Fournel !  La circulation, les bruits des rues, on y retrouve tout ! Dernier voyage en 2004, avant les Printemps arabes !  Je repense à notre sympathique guide et aux aimables personnels qui ont fait de notre croisière sur le Nil un véritable enchantement entre Noël et le Jour de l’an, alors que le tsunami s’abattait sur un autre coin de la planète ! Des journées que je n’oublierais jamais !

Pratique :
Date de parution 02/01/2004
Fiction et Cie
368 pages - 21.30 € TTC
ISBN : 2757803611
En édition Poche chez Points
7,1€ // 320 pages
Paru le 08/03/2007
EAN : 978275780361

jeudi 19 juin 2014

Lu et relu combien de fois ! "Les Belles de Tunis" de Nine Moati

tableau de J. F. Lewis. Live in a harem, 1858. 
London, Victoria Albert Museum,
Archives Edimédia


Un de mes plus mémorable coup de cœur, je ne saurai mieux expliquer ce livre que la quatrième de couverture de l'édition Seuil : 

"Le siècle brûlant de la domination française en Tunisie revit ici à travers trois générations de femmes juives. Myriam, la nièce du caïd Nessim, fréquente les palais beylicaux mais grandit dans la misère du ghetto. Elle s’en échappe grâce à Eugénia, la grande dame garibaldienne. Maya, sa fille, vit les heures dorées de l’entre-deux-guerres avant d’affronter la période noire de l’occupation allemande. Marie, la dernière de la lignée, connaîtra un amour tragique alors que la lutte fait rage dans l’Algérie voisine et que la Tunisie redevient tunisienne. 
Amours et intrigues de cour, princesses beylicales, gens du peuple et bourgeois enrichis se succèdent dans cette vaste fresque familiale. La population cosmopolite de la Régence –où Juifs, Arabes, Maltais, Italiens et Français côtoient l’histoire, grande ou petite – est le principal personnage d’une chronique foisonnante, émouvante et savoureuse, à l’image de la ville elle-même."  

Citations : 
« Les effets du séjour algérois du bey, de l’attitude courtoise et même amicale que napoléon III lui avait réservée ne se firent pas attendre. Léon Roches obtint rapidement de gros avantages pour son pays, qu’il installait petit à petit dans la Régence. Profitant des circonstances, il envisagea de se faire offrir un nouveau bâtiment comme consulat. Il l’imaginait déjà, blanc et solidement planté en ville franque, avenue de la Marine, face à l’église Saint-Antoine. C’est que , depuis sa visite à Alger-la-Blanche, il supportait mal la vétusté du fondouk des Français, son humidité, son inconfort. » p. 41 

« Avec Aïcha, elle courait le long des galeries du palais. Toutes les pièces donnaient sur le patio, qui était couvert d’une verrière. Myriam n’avait pas vu grand choses dans la vie, mais elle comprenait que si l’architecture du palais rappelait vaguement celle de son oukala, la ressemblance entre les deux habitations s’arrêtait là. Chaque fois qu’elle arrivait au palais, elle se sentait émerveillée. Elle ne savait ce qu’il fallait admirer le plus, des plafonds ciselés formant de riches poissons, des marbres qui recouvraient les murs ou des lustres aux verres foncés. Elle aimait surtout la suspension qui tombait de la verrière pour éclairer de ses innombrables bougies l’immense patio. » p.66 
« - Honnête ? Vos services de renseignements fonctionnent donc si mal ? Je peux vous dire, moi, que votre Eugenia et ce gros juif de Nessim … Mais je n’ai rien dit. Je n’aime pas dire du mal d’une femme, surtout si elle est laide et compatriote de surcroît. Mais à ce point-là, tout de même ! Quand je pense que tout l’argent de la Tunisie, de notre cher pays, est entre les mains de cette intrigante ! Et quand je pense, d’un autre côté, au bien que la France fait ici, grâce à notre ami le consul. …
Je tiens à remercier Son Altesse d’avoir décerné le Nicham Ifrikhar au jeune Henri Dunant. Celui-ci en a été profondément touché. 
- Sa Notice sur la Régence de Tunis » enchaîna le Khaznadar, est tout à fait remarquable et les portraits qu’il y trace de nos deux, cher ami sont des plus flatteurs.
- Savez-vous qu’il vient de créer à Genève une convention pour la protection des victimes de la guerre ? Après notre cher bey, tous les souverains d’Europe veulent maintenant le fêter et le décorer. Déjà, la Croix-Rouge, cette association qu’il a fondée l’année dernière, fait grand bruit. 
- Un autre de vos amis fait lui aussi parler de lui, reprit le Khaznadar. C’est l’orientaliste Alphonse Rousseau. Il vient de m’envoyer son ouvrage paru à Alger : Les Annales tunisiennes. Décidément, mon cher, nous ne saurons trop vous remercier de votre travail en Tunisie. Je suis sûr que , grâce à vous, la France brillera d’un éclat  particulier dans l’empire du Soleil-Levant, comme elle brille ici en ce moment. » p.103
« On appelait « le Passage » ce quartier de Tunis car il était situé près du passage à niveau du train électrique pour La Marsa dont la station de départ se trouvait juste devant le café Florian. Toutes les grandes rues de Tunis aboutissaient d’ailleurs au Passage. L’avenue de Londres grouillait de monde. Des juifs venaient pour acheter des pois chiches chez le Hammas de Tataouine, surtout le vendredi soir, veille de shabbat ; Ils allaient souvent aussi au théâtre Ben-Kemla applaudir, en compagnie des Arabes, les troupes tunisiennes qui n’avaient pas pu se faire engager au théâtre municipal. » p. 177

Une petite note personnelle : 
Lorsque l’on a vécu de très nombreuses années de l’autre côté de la Méditerranée, sur ce sol tunisien, si riche d'une Histoire lui ayant donné de grands hommes depuis l’Antiquité, Hannibal, Saint-Augustin, etc. jusqu’à Bourguiba, comment ne pas être touchée par cette tranche d'histoire de la Tunisie, racontée d’une si belle manière par Nine Moati ! N’était-elle pas elle aussi, une fille du pays ! 

jeudi 12 juin 2014

Mes coups de cœur : "Les Larmes de Pancrace" de Mallock


"Les Larmes de Pancrace" Mallock (Ed. Fleuvenoir)
Quatrième de couverture :

     Jean de Renom, propriétaire d'un grand cru classé, est sauvagement assassiné dans son château du Bordelais. À la stupéfaction générale, son épouse, la douce et aimante Camille, est accusée puis incarcérée. Le scandale est d'autant plus retentissant que cette dernière n'est autre que la fille de Sophie Corneille, candidate favorite à la prochaine élection présidentielle.

      Au-delà des conflits d'intérêts et des luttes de pouvoir, le fameux commissaire Mallock découvre que d'autres drames entachent l'histoire de cette famille. Plus il creuse, plus les énigmes et les crimes remontent à la surface. Noyades, empoisonnements, meurtres, les racines du mal sont bien plus profondes qu'il n'aurait pu l'imaginer. Depuis sept siècles, depuis qu'un certain Pancrace a fait couler le sang, que la peste a ravagé la région, une malédiction semble avoir envahi le château et ses occupants...



Mon avis :
     Premier roman de Jean Denis Bruet Ferreol allias Mallock qui me passe dans les mains, reçu par ma fille dans le cadre de la rubrique Masse Critique du site BABELIO*.


    Je ne fus pas déçue de ce voyage à Bordeaux et dans la région du Bassin d'Arcachon ... Les grands crus et ses châteaux, son histoire plusieurs fois centenaires, avec ses légendes et sa mythologie. Un puits de sciences ce Mallock ! Avec ses histoires, nous sommes toujours assurés d'avoir appris une masse de chose, en profitant de nos lectures. 
J'ai beaucoup apprécié le style, l'humour de son personnage "un peu nounours", un homme qui en a vu de toutes les couleurs au cours de ses précédentes enquêtes. Frappé de grande douleur par la vie, mais au grand cœur malgré tout qui s'attendrit à la vue et au toucher "de petites bebettes". 
    Quelques traits, d'humour, et contre des journalistes trop prompts à lécher les bottes des certaines personnalités politiques, une critique d'une classe de la société, aussi dans une ville de province, où tout le monde connaît tout le monde, rendent que plus vraisemblable cette intrigue ! 
     Une belle aventure, qui remonte dans l'Histoire de la région avec un grand H, avec des rebondissements, de beaux dialogues. Quelques recettes de cuisine, car on le sait, très souvent les grands commissaires sont aussi fins gastronomes et de bons chefs devant les fourneaux. Ils apprécient une réunion d'amis, mais aussi avec des membres de son équipe du « Fort » pour lesquels il prépare de bons petits plats, après avoir fait lui-même son marché ! Pas le temps de s'ennuyer ! Un bon gros livre pour bien terminer la semaine, quand on a tout le temps devant soi, pour ne pas le lâcher ! 

     Comme c'est un polar, je ne vais pas me lancer dans une explication plus précise de l'histoire, juste quelques extraits afin de situer le commissaire Amédée Mallock, l'homme, qui sait recevoir ...

Extraits : 
"Il était 8 heures, le marché au centre du village devait être ouvert. Il n’y aurait pas encore la queue chez le poissonnier, s’était dit Amédée. Il avait repéré de  la « peau bleue », un petit requin découpé en darnes. Or,  il allait devoir nourrir du monde… De leur côté Jules et Julie, avaient passé le relais à leurs équipiers, ils seraient là ce-soir pour dîner …… En pédalant ferme sur la piste cyclable, il prit une décision de première importance : il fallait faire le requin à la bordelaise. Accommodée ainsi, les darnes seraient en raccord avec le terroir. Un petit côté lamproie, mais une cuisson rapide, la chair du requin étant fragile. Il restait une question essentielle : la sauce ? Avec ou sans chocolat ?  … Après avoir fait ses achats au marché couvert, poissonniers, primeurs et fromager Amédée retourna vers son fidèle destrier. Il en déverrouilla l’antivol et l’enfourcha pour se rendre jusqu’à la mer. Elle était haute et léchait l’intégralité des pylônes qui soutenaient la jetée. Direction vers le « cornet d’amour » pour faire le plein de glace en barquette. Réglisse et café pour Julie, Rhum-raisin et piña-colada pour Jules, orange sanguine pour lui. Décidément, avec Mallock, il fallait toujours que ça saigne. …" [p.130-131-132]

"…  Il redescendit au rez-de-chaussée et apporta la planche à découper dans le salon pour y ciseler les échalotes, l’ail, la coriandre et le persil. Avec son dos, ce genre de labeur ne pouvait plus se faire qu’assis. Il mit plus de deux minutes à accomplir cette tâche. Même ça, il fallait que cela soit beau. De retour dans la cuisine, il sortit deux poêles qu’il graissa légèrement avec un filet d’huile d’olive et un morceau de beurre. L’une reçut les darnes de requins, l’autre les condiments et les aromates. Les darnes devaient être gentiment rôties jusqu’à se recouvrir d’une belle croûte dorée. Il était important de rester devant et de les arroser avec le beurre fondu. Pendant ce temps l’ail et les échalotes comporteraient tranquillement.
……..
Côté cuisine, les échalotes étaient devenues transparentes et commençaient à blondir. Mallock augmenta le feu vingt secondes avant d’y jeter un verre de vin rouge. Il fallait que ça fasse Plisssh ! avec plein de vapeur, sinon il n’était pas content. L’alcool n‘avait pas sa place ici. Il diminua ensuite le feu pour ne maintenir qu’un léger  bouillonnement. Avec une passoire, il singea la préparation pour que la sauce nappe mieux le poisson. Sel, poivre, Tabasco, noir de sèche en improvisation de dernière minute, et trois gouttes de sirop d’orange. Amédée réserva les darnes de requin. Il ne restait plus qu’à laisser réduire légèrement l’appareil.
…….
En redescendant, ils trouvèrent Mallock en train de monter au beurre sa sauce au vin.
- Allez à table, les enfants, c’est prêt.
Pour accompagner son plat, Mallock avait boudé le vin pour le remplacer par de l’aquavit bien glacé. Sur une assiette ronde, il avait disposé sa préparation d’un noir réglisse d’un côté, et un délicieux riz basmati d’une blancheur immaculée de l’autre.
- Je serais plus chichiteux et patient, j’aurais dessiné un tao, ……" [p.153]
     Cela donne faim, n'est-ce pas, car même lorsqu'il raconte une recette, on sent l'odeur des aromates et on entend frémir le beurre ou l'huile dans les poêles !   


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Pour en savoir plus
Editions Fleuve noir
ISBN : 9782265098473
Date de parution : 13 Février 2014
468 pages,
illustration couverture : ©Axel Mahé  photo de l’auteur : ©Mallock 2013

Les autres livres de Mallock : 
aux Editions Fleuve Noir, revus et réédités par l'auteur aux Editions Pocket
- Les Visages de Dieu (revus et réédités par l'auteur aux Editions Pocket sorti le 13 février 2014)
- Le Massacre des Innocents (revus et réédités par l'auteur aux Editions Pocket  le 11 septembre 2014)
- Le Cimetière des Hirondelles (sorti chez Fleuve Noir le 10 janvier 2013)


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Qui est Mallock :
On regardera une vidéo :
Interview De Mallock [Salon Du Livre De Paris 2014]  http://unjour-unlivre.fr/tag/mallock